La pluie battante avait alerté Hugues qui dormait à l'étage. Des trombes d'eau coulaient dans les gouttières, les vitres ne laissaient plus passer le jour naissant. Sa première idée fut de monter dans le grenier pour regarder le lit de la rivière car il était fréquent qu'ici, dans ce paradis caché du monde nommé Belle-Coulée, la Prunelle déborde...
Juché sur un escabeau, Hugues n'en crut pas ses yeux. La Prunelle se tordait comme mue par un démon, elle bondissait, gonflée comme divinité prête à enfanter... Les berges déjà envahies devenaient limon charriant les cailloux et frêles arbustes sur son passage. Une vision d'apocalypse s' imposa en un éclair à Hugues qui assistait impuissant à l'engloutissement de sa maison. Il lui semblait qu'elle était devenue dès lors semblable à une arche surnageant sur la Prunelle... La terre et l'eau se confondaient désormais dans les couleurs mystérieuses de l'aube faisant glisser Hugues dans un délire partagé entre l'horreur et cette tumultueuse, indicible beauté.
Dans un cri primal d'instinct de survie, il cria, mais comprit que nul ne l'entendrait, alors il chercha ses forces vives en lui pour pactiser avec la nature et recouvrer son calme. C'est alors qu'il s'éveilla cramponné à son matelas tel Noé sur son radeau de fortune. Le soleil séchait ses draps trempés de fluides déclenchés par la peur... L'homme était hébêté, perdu, hagard et semblait partagé entre deux mondes. Cette nuit, Hugues avait perdu ses certitudes et cherchait derrière ses larmes le portrait de sa compagne absente pour le raccrocher à l'humain, et surtout à l'amour...
Dédé Gonthier avait constaté ces derniers jours, les fortes pluies qui avaient fini par grossir la rivière et ses ruisseaux et torrents affluents. Cela l'avait inquiété un peu mais il avait espéré que comme les années précédents ça finirait par se calmer et en tout cas n'aurait aucune conséquence ni pour lui, ni pour les autres villageois. Tous savaient qu'à certains endroit, ici ou là, la rivière avait déja grignoté les berges, à différentes reprises, lors des crues au fil des années. Les torrents eux aussi avaient déja rogné ici ou là, des bordures de champs, des paturages, des zones boisées, provoquant parfois un petit glissement de terrain ou une petite coulée ou un éboulement modeste. Rien de méchant. Parfois des chemins ou sentiers avaient du etre modifiés. Les roches schisteuses, on en a l'habitude dans le pays.
D'ailleurs le Morel avait été depuis plusieurs années aménagé de façon à briser l'élan des masses d'eau excessives de ses crues, ainsi en atteignant l'Isère il avait le temps de s'être calmé. Seulement cette Isère elle-même avait bien grossi ces derniers jours ! A Aigueblanche, à Bellecombe, les maisons construites le long de ses berges étaient tout juste épargnées par l'eau qui avaient envahi les jardins. Le sentier qui longeait la rive en aval après le pont du Bourjaillet, habituellement très prisé des joggueurs et promeneurs, semblait désert. Un bruit sourd, ininterrompu, s'élévait de la masse d'eau qui s'engouffrait rapidement sous le pont. Apparemment, le barrage en amont d'Aigueblanche ne suffisait plus pour réguler l'excédent d'eau de la rivière.
Le pont du Bourjaillet était solide, mais combien de temps tiendrait-il si l'assaut des masses d'eau persistait plusieurs jours, sans diminuer ?
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La pluie battante avait alerté Hugues qui dormait à l'étage. Des trombes d'eau coulaient dans les gouttières, les vitres ne laissaient plus passer le jour naissant. Sa première idée fut de monter dans le grenier pour regarder le lit de la rivière car il était fréquent qu'ici, dans ce paradis caché du monde nommé Belle-Coulée, la Prunelle déborde...
Juché sur un escabeau, Hugues n'en crut pas ses yeux. La Prunelle se tordait comme mue par un démon, elle bondissait, gonflée comme divinité prête à enfanter... Les berges déjà envahies devenaient limon charriant les cailloux et frêles arbustes sur son passage. Une vision d'apocalypse s' imposa en un éclair à Hugues qui assistait impuissant à l'engloutissement de sa maison. Il lui semblait qu'elle était devenue dès lors semblable à une arche surnageant sur la Prunelle... La terre et l'eau se confondaient désormais dans les couleurs mystérieuses de l'aube faisant glisser Hugues dans un délire partagé entre l'horreur et cette tumultueuse, indicible beauté.
Dans un cri primal d'instinct de survie, il cria, mais comprit que nul ne l'entendrait, alors il chercha ses forces vives en lui pour pactiser avec la nature et recouvrer son calme. C'est alors qu'il s'éveilla cramponné à son matelas tel Noé sur son radeau de fortune. Le soleil séchait ses draps trempés de fluides déclenchés par la peur... L'homme était hébêté, perdu, hagard et semblait partagé entre deux mondes. Cette nuit, Hugues avait perdu ses certitudes et cherchait derrière ses larmes le portrait de sa compagne absente pour le raccrocher à l'humain, et surtout à l'amour...
Dédé Gonthier avait constaté ces derniers jours, les fortes pluies qui avaient fini par grossir la rivière et ses ruisseaux et torrents affluents. Cela l'avait inquiété un peu mais il avait espéré que comme les années précédents ça finirait par se calmer et en tout cas n'aurait aucune conséquence ni pour lui, ni pour les autres villageois. Tous savaient qu'à certains endroit, ici ou là, la rivière avait déja grignoté les berges, à différentes reprises, lors des crues au fil des années. Les torrents eux aussi avaient déja rogné ici ou là, des bordures de champs, des paturages, des zones boisées, provoquant parfois un petit glissement de terrain ou une petite coulée ou un éboulement modeste. Rien de méchant. Parfois des chemins ou sentiers avaient du etre modifiés. Les roches schisteuses, on en a l'habitude dans le pays.
D'ailleurs le Morel avait été depuis plusieurs années aménagé de façon à briser l'élan des masses d'eau excessives de ses crues, ainsi en atteignant l'Isère il avait le temps de s'être calmé. Seulement cette Isère elle-même avait bien grossi ces derniers jours ! A Aigueblanche, à Bellecombe, les maisons construites le long de ses berges étaient tout juste épargnées par l'eau qui avaient envahi les jardins. Le sentier qui longeait la rive en aval après le pont du Bourjaillet, habituellement très prisé des joggueurs et promeneurs, semblait désert. Un bruit sourd, ininterrompu, s'élévait de la masse d'eau qui s'engouffrait rapidement sous le pont. Apparemment, le barrage en amont d'Aigueblanche ne suffisait plus pour réguler l'excédent d'eau de la rivière.
Le pont du Bourjaillet était solide, mais combien de temps tiendrait-il si l'assaut des masses d'eau persistait plusieurs jours, sans diminuer ?